Dans le tumulte incessant du monde professionnel, une compétence souvent sous-estimée est celle de savoir gérer les paradoxes. Pourtant, ces situations où tout semble contradictoire peuvent être des leviers puissants bénéfiques tant pour les individus que pour l’entreprise. A l’inverse, si les situations de travail paradoxales ne sont pas gérées, elles peuvent provoquer ou accentuer tensions, stress, désengagement des équipes, voire une profonde désorganisation. Dans cet article, nous explorons pourquoi et comment les dirigeantes et dirigeants d’entreprises, les managers et les équipes peuvent tirer parti de ces paradoxes pour augmenter à la fois la santé au travail, renforcer la motivation et l’engagement, stimuler la cohésion d’équipe et l’innovation, et enfin améliorer la productivité et la performance globale de leur organisation.

Triangle de Penrose – Illustration droits réservés @UMANAO®
A l’image de ce triangle, objet « impossible » conçu par le mathématicien Roger Penrose dans les années 1950, le paradoxe crée une tension dans le cerveau de la personne qui l’observe et qui cherche à rendre cette figure « possible ».

 

Comprendre le paradoxe en entreprise

L’utilisation des paradoxes, bien que familière pour les chercheurs en sciences sociales et les psychologues, reste trop souvent négligée dans les milieux professionnels.

 

Alors même que le nombre et la diversité de situations paradoxales augmentent de façon importante, au point de questionner le sens même du travail, il n’y a à ce jour aucun signe visible que les directions des entreprises, les services de ressources humaines ou les lignes managériales prennent la pleine mesure des enjeux.

 

Voici des exemples de situations paradoxales, d’injonction contradictoires ou de dilemmes issus de nos constats sur le terrain :

  • Une direction d’entreprise demande à ses équipes, qui – suite à une fusion étaient déjà en perte de repères et en surcharge de travail – de transformer l’organisation sans donner de cadre ni de consignes aux lignes managériales ni aux équipes.
  • Une équipe de maintenance – en manque d’effectif récurrent – à qui on demande d’assurer 25% de charge de travail en plus, sans aucune explication, avec certaines personnes déjà en situation de tension et d’autres déjà en situation d’épuisement.
  • Un responsable de service Maintenance qui reproche à sa direction un manque d’autonomie et de moyens tout en refusant de prendre des décisions pourtant de son ressort.
  • Mise en place d’une politique RSE / CSRD ambitieuse avec une partie de l’effectif de l’entreprise qui est explicitement climato-sceptique.
  • Des salariés et des membres de la direction qui subissent une éco-anxiété provoquée notamment par une sensibilité forte à la cause écologique (urgence à agir) et une incapacité à agir dans le cadre de leur fonction, aboutissant à une injonction contradictoire.
  • Dans une vision plus macro, que faut-il privilégier : temps courts ou temps long ? Prudence (risque de décrochage) ou aller de l’avant (risque d’erreur) ? Règlementation protectrice ou innovation débridée (avec une concurrence sauvage) ?

Focus
Le paradoxe peut être défini comme une proposition qui contient ou semble contenir une contradiction logique, ou un raisonnement qui, bien que sans faille apparente, aboutit à une absurdité, ou encore une situation qui contredit l’intuition commune. (Source : dictionnaire de l’Académie française).
Une situation paradoxale non gérée peut provoquer des conséquences par nature très variables tant sur les personnes que sur l’organisation : impacts, durée, nombre de personnes concernées. Il n’est pas question ici de dresser un tableau apocalyptique en la matière. Nous pouvons cependant affirmer qu’une absence de prise en compte et de gestion des situations paradoxales dans une entreprise (culture, process, habitudes de travail, compétences travaillées, etc.) aura des conséquences plutôt négatives pour les personnes et l’organisation. Les tensions et dissonances générées chez les individus pourront favoriser par exemple une augmentation de la charge mentale et des incertitudes relatives à l’environnement professionnel, une perte de sens au travail, une baisse des sentiments d’appartenance, d’accomplissement et d’autonomie, de la motivation et de l’engagement, une communication dégradée au sein de l’entreprise amenant à une performance moindre et des messages altérés vis-à-vis des parties prenantes.
En résumé cela peut affecter à des niveaux variables la santé mentale des personnes de l’inconfort au burn-out, leur efficacité dans leur fonction et le climat social ainsi que la performance de l’entreprise.

 

Le contexte : un environnement professionnel générateur de paradoxes !

L’environnement économique, social et sociétal actuel est caractérisé par son instabilité, son imprévisibilité, sa complexité et son ambiguïté.

 

Cela a pour conséquence que les individus et les organisations doivent faire plus d’efforts d’adaptation, et donc dépenser plus d’énergie, que dans un environnement stable. La définition de l’acronyme V.U.C.A., utilisé pour décrire les caractéristiques du monde actuel, le qualifiant de Volatile, Incertain (Uncertain), Complexe et Ambigu n’a jamais été autant d’actualité et perturbent les équilibres acquis.

 

Volatile : Le monde est en constante évolution et les changements se produisent à un rythme rapide et imprévisible. Les conditions économiques, politiques, sociales, technologiques et sociétales peuvent fluctuer rapidement, ce qui rend difficile la prévision à long terme et la planification stratégique.

Incertain : L’incertitude est omniprésente dans tous les aspects de la vie moderne. Les événements imprévus et les facteurs inconnus peuvent perturber les marchés, les organisations et les individus. Cette incertitude rend les décisions plus difficiles et peut conduire à une hésitation, à un manque de confiance, voire même à l’immobilisme.

Complexe : La complexité du monde moderne est due à l’interconnexion croissante des systèmes et des acteurs à l’échelle mondiale. Les problèmes sont souvent multifactoriels et interdépendants, ce qui rend leur compréhension et leur résolution plus complexes. Les solutions simples sont souvent insuffisantes pour faire face à des défis complexes.

Ambigu : L’ambiguïté se réfère à la nature floue et ambiguë de nombreuses situations dans le monde contemporain. Les informations peuvent être contradictoires ou incomplètes, ce qui rend difficile la prise de décision éclairée. Les individus et les organisations doivent souvent composer avec des réalités incertaines et des perspectives divergentes.

 

Ajoutons à cette description de l’environnement professionnel, les évolutions majeures dans les domaines de l’entreprise que sont les démarches RSE / ESG / CSRD[1]  (démarches volontaires et règlementation obligatoire), les risques en cybersécurité (menace diffuse) ou l’introduction de l’intelligence artificielle (impacts certains mais inconnus à date) qui contribuent également à une multiplication du nombre de situations professionnelles paradoxales.

 

En effet ces « nouveautés » nécessitent, pour notre cerveau, un temps d’apprentissage sous forme de « boucles » (répétition de situations) pour les intégrer dans ses routines, en clair que cela fasse partie de son « paysage ».

Durant cette période, les écarts générés entre les informations connues et les nouvelles connaissances en cours d’acquisition induisent des paradoxes.

 

Ce contexte global peut générer des sentiments d’insécurité et d’instabilité, ou une charge mentale supplémentaire dans les équipes.

 

Concrètement, cela crée des conditions moins favorables à la flexibilité et à l’ouverture nécessaires pour l’apprentissage et l’adaptation à ce nouveau contexte.

 

Dans tous les cas, les cerveaux des individus doivent dépenser une énergie non négligeable pour mettre à niveau leurs routines cognitives, émotionnelles et comportementales.

 

Et ces adaptations individuelles et collectives doivent être réalisées à de nombreux niveaux :

pour tous les individus : perceptions (on n’interprète plus les signaux de la même manière), mémoires (il faut « recréer des mémoires actualisées »), réflexion (les processus de raisonnements doivent être enrichis), prises de décision (les places de l’individu et du collectif évoluent), modalités de coopération (notamment l’intergénérationnel mais pas uniquement), comportements,

plus particulièrement pour les directions et les lignes managériales : vision stratégique (la flexibilité et la réactivité sont de mise, communiquer sur la vision devient plus compliqué), management des équipes (maîtriser les leviers de motivation et d’engagement ne va plus de soi), organisation (savoir l’adapter et la piloter dans le bon tempo et de façon juste est un enjeu fort), processus (concevoir, mettre en place et piloter des processus suffisamment robustes pour être performants en environnement complexe n’est pas inné).

 

 

Ces défis à forts enjeux auxquels les individus et les entreprises doivent répondre, prennent place dans un environnement professionnel qui, structurellement, culturellement et historiquement ne prend en charge au mieux que très partiellement ces sujets.

 

Jusqu’à présent, le monde de l’entreprise s’est concentré principalement sur les compétences techniques et comportementales en lien avec sa culture, son métier et les fonctions exercées par les individus. Or l’entreprise doit aujourd’hui intégrer plus largement et traiter à son échelle des sujets de santé mentale et de société : polarisation des prises de position dans la société sur la majeure partie des sujets, éco-anxiété, marque employeur, dialogue intergénérationnel, rapport au territoire, etc.

 

Alors comment faire à l’heure où les paradoxes dans les situations de travail augmentent (et vont continuer à augmenter) de façon très importante, tels des vagues incessantes, pouvant parfois nous submerger ?
C’est là que les principes de navigation deviennent utiles pour évoluer dans cet environnement.

 

 

Mieux vaut savoir naviguer dans un océan de paradoxes en 2024 !

Dans le monde V.U.C.A. qui est désormais le nôtre, tel que décrit plus haut, il est fondamental de développer nos capacités « d’antifragilité » [2] tout autant que celles de résilience. Pour cela nous pouvons nous appuyer sur les paradoxes.

 

L’école de Palo Alto, berceau de l’étude des paradoxes, nous a montré que ces situations ne sont pas juste des sortes d’énigmes à résoudre, mais de véritables invitations à repenser nos approches.

 

Au-delà des tensions qu’ils peuvent générer, les paradoxes sont aussi des portes ouvertes sur de nouveaux horizons. Ils sont comme ces pièces de puzzle qui, une fois assemblées, révèlent un tableau bien plus grand que ce que l’on avait imaginé.

 

En les abordant de façon adaptée, les individus peuvent découvrir des solutions inattendues et des opportunités cachées.

 

Les paradoxes révèlent la complexité de l’environnement professionnel d’aujourd’hui, nous incitant à repenser nos approches traditionnelles et à explorer de nouvelles voies, tellement plus adaptées au monde actuel.

Avec, à la clé,  une meilleure satisfaction de besoins humains importants en situation professionnelle : sécurité, accomplissement, autonomie, efficacité, reconnaissance et intégration sociale, ce qui amène par voie de conséquence une meilleure santé mentale au travail et plus grande facilité dans l’adaptation des personnes et de l’organisation, plus de motivation des équipes et d’innovation, un meilleur développement et cela quel que soit le secteur d’activité, quelles que soient les fonctions des personnes, quelles que soient les situations et leur importance.

 

 

 

Pourquoi cette approche centrée sur les paradoxes fonctionne-t-elle très bien ?

A UMANAO® nous fondons notre démarche d’aide à la réflexion, décision et coopération sur « les expériences vécues » par le cerveau et nous préconisons d’utiliser les situations de travail paradoxales dans l’entreprise comme « carburant » des évolutions individuelles et collectives pour savoir naviguer dans ce contexte V.U.C.A.

 

Nous avons choisi de nous appuyer sur les neurosciences pour mettre au point outils et méthodes et les rendre accessibles, dans une logique de transmission, au plus grand nombre que ce soit pour le traitement des paradoxes ou tous les autres sujets sur lesquels nous sommes positionnés. Et pour cela nous utilisons principalement le récit et le jeu qui sont deux procédés naturellement intégrés dans le cerveau humain.

 

Les raisons sont simples et logiques :

  1. Vouloir satisfaire les besoins humains fondamentaux des individus est indispensable et prioritaire à d’autres actions de conduite du changement :  générer un sentiment de sécurité, des besoins  satisfaits, un sentiment de confiancevis-à-vis de l’entreprise, des lignes managériales ou des relations professionnelles impactent positivement l’ouverture et les capacités  de changement, d’adaptation et d’apprentissage d’une personne.
  2. La bonne nouvelle c’est que les ressources cognitives et émotionnelles et les compétences comportementales requises pour gérer correctement une situation de travail paradoxale sont identiques à celles requises pour être à l’aise dans un environnement V.U.C.A. Nous pouvons citer deux types de ressources cognitives à titre d’exemple :

Inhibition: fonction du cerveau impliquée dans la régulation de diverses fonctions cognitives,[3] émotionnelles et comportementales comme l’attention, la mémoire de travail, la régulation des émotions, le contrôle des comportements impulsifs, la prise de décision, la flexibilité cognitive, etc. Exprimée de façon symbolique, elle permet entre autres au cerveau de « couper temporairement » l’accès aux connaissances acquises pour lui permettre de traiter des « nouvelles connaissances ». L’expression « désapprendre pour apprendre » implique également la fonction inhibition du cerveau.

Métacognition: joue un rôle essentiel dans l’apprentissage, la résolution de problèmes, la prise de décision et la régulation émotionnelle. De façon très succincte c’est la métacognition qui permet de nous poser des questions telles que « Est-ce que je comprends vraiment ? » ou « Suis-je sur la bonne voie pour résoudre ce problème ? » et d’ajuster nos stratégies cognitives, de réorganiser nos pensées et de demander de l’aide lorsque nécessaire ou de prendre des pauses pour réfléchir. Les individus dotés d’une métacognition développée sont souvent capables de mieux gérer les défis cognitifs et émotionnels, d’améliorer leurs performances académiques et professionnelles, et de mieux s’adapter aux situations nouvelles ou complexes.

 

 

Pourquoi UMANAO®  et la Suite UMANAO EXPERIENCE® se sont intéressés aux paradoxes ?

Gérer les situations paradoxales pour en faire des leviers de réussite pour les personnes et l’entreprise correspond pour nous à utiliser une « matière » présente dans l’entreprise et non valorisée, comme « carburant » pour réaliser les évolutions et adaptations nécessaires et essentielles à l’environnement actuel.

 

C’est ainsi que nous avons adapté notre suite UMANAO EXPERIENCE® d’outils et de méthodes d’aide à la réflexion, à la décision et à la coopération pour s’entraîner à gérer les situations paradoxales grâce à des mises en situations conçues à partir de travaux en sciences cognitives comportementales.

 

Nous y avons intégré des séquences ludiques pour que cela soit accessible au plus grand nombre indépendamment du niveau d’instruction et de la culture d’origine des personnes qui l’utilisent.

 

Que ce soit en autonomie ou en mode accompagné, les outils et méthodes de la suite UMANAO EXPRIENCE® pour les paradoxes peuvent être utilisés en présentiel et en distanciel.

 

 

Être Entrepreneurs d’Avenir, c’est avoir une prédisposition à gérer les paradoxes !

Observez autour de vous les situations paradoxales et échangez entre vous à ce sujet, vous verrez toute la richesse de ce sujet et tout ce que vous pouvez en tirer de positif.

Car vous l’avez compris, les paradoxes ne doivent pas être redoutés mais tout simplement appréhendés et gérés ! En les intégrant dans votre stratégie d’entreprise, vous pouvez transformer ces tensions en amélioration de la santé au travail, cette fameuse « santé mentale » dont toute la presse s’empare à juste titre, et en opportunités de croissance et d’innovation. Alors, chères dirigeantes et chers dirigeants Entrepreneurs d’Avenir, faites comme nous : adoptez le « paradoxe joyeux et utile », et préparez-vous à voir votre entreprise s’épanouir dans une nouvelle dynamique dans l’environnement V.U.C.A qui est le nôtre !

Parce que nous pouvons l’affirmer : avoir « le paradoxe joyeux et utile » fonctionne et se révèle très efficace sur des temps courts. Ne laissez pas les paradoxes vous faire tourner la tête et celles de vos équipes !
Au contraire, faites des situations paradoxales vos compagnons de route dans cette époque pleine de risques mais tellement riche en opportunités. Car qui sait, peut-être que derrière chaque dilemme se cache une opportunité, et derrière chaque contradiction, une solution inattendue !

 

Jérôme Jubelin (4).

 

 

[1] La CSRD directive, ou Corporate Sustainability Reporting Directive, est la nouvelle directive de la Commission européenne. Elle a pour objectif de faire mettre à jour leur reporting extra-financier aux entreprises via l’intégration de nouvelles mesures et touche environ 50 000 entreprises (contre 11 700 actuellement)​. […] Au-delà d’étendre le champ d’application de la règlementation, la CSRD assure une accessibilité aux informations sur la durabilité des entreprises, à travers des méthodes de calcul des indicateurs communs afin d’uniformiser l’exercice de reporting selon le standard européen. (Source BPI). Cette nouvelle directive implique des changements fondamentaux dans les process des entreprises et des banques.

[2] Antifragilité : propriété des systèmes qui se renforcent lorsqu’ils sont exposés à des facteurs de stress, des chocs, de la volatilité, du bruit, des erreurs, des fautes, des attaques, ou des échecs. C’est un concept développé par le Professeur Nassim Nicholas Taleb dans son livre Antifragile et dans des articles de recherche. Un système antifragile s’améliore dans un environnement instable, tandis qu’un système adaptatif est robuste dans un environnement initialement inconnu. (source Wikipedia)

[3] Les fonctions cognitives sont un ensemble de processus mentaux qui nous permettent de percevoir, de comprendre, de penser, de se souvenir, de raisonner et de résoudre des problèmes. Ces fonctions sont essentielles pour traiter l’information, interagir avec notre environnement, prendre des décisions et accomplir des tâches quotidiennes : attention, mémoire, langage, résolution de problème, etc.

[4] A propos de l’auteur : Jérôme Jubelin, dirigeant et fondateur d’UMANAO® est  membre des Entrepreneur d’avenir depuis 2016. Il est Ingénieur en instrumentation, diplômé d’un DESS de gestion, et a suivi plusieurs formations aux neurosciences appliquées. Ses principaux domaines d’intérêt sont les mécanismes de la pensée, l’éthique, les récits imaginaires, les arts vivants et la transmission.

 

 

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Un extrait de cet article a été initialement publié par la newsletter des Entrepreneurs d’avenir dont Jérôme Jubelin est membre actif depuis 2016 à l’aimable invitation de Jacques Huybrechts son fondateur.